Peuple dévotieux,
Ecoutez dans ces lieux,
D’un cœur plein d’allégresse,
Je m’en vais réciter
Un miracle qu’a fait
Notre-Dame de Liesse.
Avant de vous parler
Des miracles qu’elle a faits,
Parlons de son histoire ;
Vous serez satisfaits,
Car c’est un beau sujet,
Très-digne de mémoire.
Trois Chevaliers françois
Combattant pour la foi,
Et pour la sainte Eglise,
Furent faits prisonniers
Et menés au quartier
Du Sultan sans remise.
Quand le Sultan les vit,
Aussitôt il leur dit :
Chevaliers qu’on renomme,
Renoncez votre foi,
Je vous ferai, ma foi,
Trois grands de mon royaume.
Ces Chevaliers françois
Répondirent tous trois :
Plutôt perdre la vie
Que quitter notre foi,
Pour suivre votre loi,
Qui n est qu’idolâtrie.
Le Sultan en fureur,
Les fit mettre sur l’heure
Dans une prison forte,
Croyant les pervertir
Ou les faire mourir
D’une cruelle sorte.
Ce malheureux Sultan
Avoit certainement
Une fille très belle ;
Il lui dit dans ce temps :
Il faut dans ce moment
Que tu me sois fidèle.
Ma fille, dit ce païen,
Ces Chevaliers chrétiens
Sont de grands gentilshommes.
Tâche de les gagner,
Ma fille, sans énoncer
Ta royale personne.
La fille du Sultan
Prend les clefs promptement
Pour complaire à son père,
S’en va dans la prison
Pour gagner tout de bon,
Ces trois Chevaliers frères.
Ces nobles Chevaliers
Captifs et prisonniers,
Voyant cette Sultane,
Sitôt lui ont montré
Toute la fausseté
De sa foi musulmane.
Lui disant en ce lieu :
Nous croyons au vrai Dieu
Et à la Sainte Vierge.
La Sultane, en deux mots,
Leur demande aussitôt
Quelle étoit cette Vierge.
Apportez nous du bois,
Dit le plus vieux des trois,
Vous en verrez l’image.
La Sultane de ce pas,
Sitôt leur en porta
Sans tarder davantage.
Ces nobles Chevaliers,
N’étant pas ouvriers,
Prièrent leur concierge ;
De nuit, l’Ange de Dieu
Apporte dans ce lieu
L’Image de la Vierge.
Ismérie tout de bon,
Retournant en prison,
Ces Chevaliers très-sages
Sitôt lui ont montré
Et lui ont présenté
Cette très-sainte Image.
La Sultane, humblement,
Reçut dévotement
Cette très Sainte Image,
Et la porta après
Dedans son cabinet
Pour lui faire son hommage.
Dans sa dévotion
Elle eut révélation,
De Dieu et de sa Mère,
Qu’elle seroit baptisée
Quand elle auroit sauvé
Les trois Chevaliers frères.
A ce commandement,
Ismérie, promptement,
Abandonne sa terre,
Suivant les Chevaliers
Qui étoient prisonniers
Du grand Sultan son père.
Ayant pris quelqu’argent,
Ses joyaux mêmement,
Et la très sainte Image
Portée entre ses bras,
Et ne la quitta pas,
L’aimant d’un grand courage.
Ayant marché longtemps,
La Sultane, tristement,
Dit aux trois gentilshommes :
Je ne puis plus marcher,
Il faut me reposer
Et prendre quelque somme.
Les Chevaliers, soudain,
S’écartant du chemin,
Entrent dans un bocage ;
La Sultane s’endort,
Ayant dedans ses bras
De la Vierge l‘Image.
Etant tous endormis,
Chose vraie, mes amis,
Ils furent d’assurance,
Miraculeusement
Transportés en dormant
Au royaume de France.
Etant tous éveillés,
Ils furent bien étonnés,
Avecque Ismérie,
De ne se point trouver
Où ils s’étoient couchés,
Au pays de Turquie.
Voyant un jeune berger
Jouant du flageolet,
L’un de ces gentilshommes
Lui a dit : Mon ami,
Quel pays est-ce ici?
Et dis moi où nous sommes.
Le petit bergerot
Répond en peu de mots :
Vous êtes en Picardie,
Tout proche de Marchais,
D’où Monsieur, pour le vrai,
Est esclave en Turquie.
Ces bons seigneurs, alors,
Reconnurent d’abord
Que Dieu par sa puissance,
Les avoit délivrés
Et même transportés
Au royaume de France.
La mère de ces seigneurs,
Sachant le grand bonheur,
Vint de grande vitesse ;
Ayant vu ses trois fils,
Embrassant Ismérie
De très-grande tendresse.
Ismérie, peu après,
Selon son saint souhait,
Reçut le saint baptême
Par l’évêque de Laon ;
La confirmation
Elle reçut de même.
Cette fille d’honneur
Et ces trois bons seigneurs
Firent faire une église
Où ils ont fait poser
Cette image sacrée :
Quelle belle entreprise !
C’est où est son pouvoir,
Et où elle fait voir
Souvent de beaux miracles
Aux pauvres affligés,
Qui vont la visiter
Dans ce saint tabernacle.
Allons peuple françois,
Allons dans cet endroit
Tous en pèlerinage,
Puisque la mère de Dieu
Veut bien dans ce saint lieu
Recevoir nos hommages.
D’une grande ferveur.
Prions-la de bon cœur,
D’avoir son assistance ;
Elle a toujours aimé
Et toujours protégé
Le royaume de France.
Fut un grand Chevalier,
Fra’ Jacques de Bellay,
Bailli de l’Arménie,
Qui avait une tendresse
Pour la Vierge de Liesse,
Étant de Picardie.
Il habita à Malte,
La belle ville de Valette,
Et lui manqua sa Vierge.
Il pensa donc à faire
Un nouveau sanctuaire
Pour emplir son hommage.
Trouvant un lieu au Port,
Face Saint-Ange Château-Fort,
Il fait v’nir des maçons :
Il construira en marbre
Sous l’bastion Sainte Barbe
Un temple à sa façon.
Une église baroque,
Pour éviter tout choque
À ses beaux camarades.
Surmonté d’un clocher
Au sommet du rocher
Derrière une belle façade.
Erigea à l’interne,
Sous une belle lanterne,
Un nouveau sanctuaire,
Comme ce qu’il aime à Liesse,
Pour célébrer la Messe,
Et offrir ses prières.
Y viennent les grands chefs,
Pour remplir ce beau nef,
Le jour d’Bénédiction.
Sous l’regard du Grand Maître,
Les évêques et les prêtres
Y viennent en procession.
Apres très peu de temps
Les citoyens en chant
Viennent y rendre hommages.
Les marins et leurs sires,
S’y rendent de leurs navires,
Éviter des naufrages.
Alors toute la Marine
Implore cette Vierge divine
Les garder tous le temps ;
Dans toutes les galères
Échapper la colère
De la mer et le vent.
Enfin, un triste moment,
Y vient Napoléon
Expulser les confrères.
Les palais il dépouille,
Les trésors, il les fouille ;
La Vierge ne toucha guère.
Pour presque un millénaire
Chevaliers par centenaries
Venaient la honorer.
Et maintenant le culte
Soumis cette grosse insulte,
Sans qui la protéger.
Vint protestants Anglais
La Vierge qu’ignoraient,
Mais qu’avaient un bon cœur.
Malgré réligion tort,
Créent l’Aumônerie du Port,
Qu'apporta grand bonheur.
La Vierge au sanctuaire
Tout long de la Guerre
Protegea nos pays;
Enfin retombe la paix,
Et dans ce lieux renait
Une dévotion benie !
O Vierge d’allégresse,
Venez avec tendresse,
Soulager notre peur !
Les besoins de notre Ordre,
Nous prions cette accorde,
Qui vous rendons honneur !
(The original text, and illustration, come from the book "Legende et Cantique de Notre-Dame de Liesse", Duployé, Aisne, 1862)